Bonjour Madame Wach,
C’est avec grand plaisir et non sans une certaine émotion que je vous écris ce jour, même si je me doute bien du peu de probabilités de réception de cette missive entre vos propres mains. Mais peut-être celle-ci parviendra-t-elle à l’un de vos proches ? Et, si tel ne devait pas être le cas, elle aura au moins eu le mérite de me permettre de m’épancher quelque peu sur la notion de réussite telle qu’édictée par notre belle institution qu’est l’Education Nationale.
Madame Wach, le hasard, la chance… la malchance ? ou que sais-je encore, nous a permis de nous croiser lors de mon année scolaire 1970, en CE2. A cette époque, les élèves étaient disciplinés, ils encaissaient les brimades de leurs professeurs sans piper mot, et sans relater à leurs parents ce qu’ils éprouvaient, ce qu’ils ressentaient comme foncièrement injuste, parce qu’un enfant n’avait qu’à obéir, et que la parole d’un adulte valait bien plus que la sienne.
Je vous ai trouvé méchante, Madame Wach, et ce sentiment était partagé par bon nombre de mes camarades de classe. J’arrivais le matin le ventre noué par la crainte de ce que vous alliez encore chercher à me reprocher. J’ai été au supplice toute cette année-là, parce que vous ne supportiez pas mon caractère rêveur.
« Elève effacée », « élève dans la lune », « élève qui pourrait mieux faire si elle s’en donnait les moyens », que n’ai-je essuyé comme remarques négatives tout au long de notre cohabitation éducative !
Je peux vous le dire maintenant, Madame Wach, on prononçait votre nom à la française, Madame Wach, Madame Vache, la vacharde, mais aussi celle qui reste au ras des pâquerettes, dans son pré, à brouter, avec dans ses yeux une lueur qui donnerait à penser aux intellectuels alentour qu’il n’y avait pas à craindre de concurrence de votre part.
Ah ça, c’est évident ! Etre sur le plancher des vaches ou dans la lune, c’est antinomique. Par conséquent, vous ne pouviez pas comprendre quelles émotions m’envahissaient ; moi-même, du haut de mes neuf ans, je n’avais pas encore pris conscience de ce vers quoi ces émotions me conduiraient ultérieurement.
Ce que je sentais, c’est une irrésistible attirance vers cet astre que l’homme avait foulé pour la première fois un an auparavant ; quelle merveilleuse aventure ! Oui, c’est vrai, j’étais dans la lune la plupart du temps, mais, je veux dire par là, vraiment dans la lune. Je m’imaginais dans cet univers totalement nouveau à explorer et j’avoue que la grammaire, l’orthographe ou le calcul que vous vous efforciez à nous faire ingurgiter, toutes ces matières passaient au second plan.
A l’issue de cette année aussi infructueuse sur le plan de l’apprentissage scolaire et de ses rapports de maître à élève, qu’enrichissante du point de vue de ma construction psychologique, j’ai encore accru ma propension aux rêves, et je me suis projetée cosmonaute. Oui, ma vocation était née : plus tard, je serais cosmonaute ! Dès lors, je me suis mise à travailler d’arrache-pied à l’école, au collège, au lycée puis lors de mes études universitaires, parce que j’avais bien conscience que le système imposait de se consacrer à toutes sortes d’apprentissages pour passer progressivement les caps qui me permettraient, à terme, de réaliser mon vœu le plus cher : quitter ce monde matérialiste et m’élever vers d’autres horizons.
Voilà, Madame Wach, tout cela pour vous dire que si j’étais dans la lune, lors de notre brève rencontre sur cette terre, c’était le prémisse fantasmé de ce que j’allais pouvoir réaliser des années plus tard.
J’étais réellement, concrètement, au contact de la lune, et cela, Madame Wach, vaut tous les prés du monde, quelque soit la couleur de l’herbe…
Bien à vous !
I.B., 20 juin 2011.
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