Chaque participant de l'atelier nous a lu un extrait d'un livre choisi par lui, puis a sélectionné une phrase qui sert d'incipit à un texte en trois parties rédigées chacune par un écrivant différent. Voici quelques textes résultant de cet exercice.
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Le
dernier bal de Mme Emilienne
« Mon
gendre aussi est un grand pédéraste »,
dit-elle, « mais depuis qu'il est marié, il ne peut
plus courir autant qu'il voudrait ».
Si
tu savais ma chère... il sort tous les samedis, il va dans des
boîtes où que des personnes comme lui peuvent entrer,
très sélectives, je vous dis ! Tellement sélectives
qu'il ne peut même pas emmener ma fille. Et cette conne qui ne
comprend rien à la vie, qui ne comprend rien aux cercles
fermés des hommes importants se sent malheureuse... Si, si,
malheureuse ! Délaissée... Un fois par semaine, son
mari a bien le droit de retrouver ses amis, fumer un cigare ou une
pipe, discuter des plaisirs de la vie entre hommes... après
tout il court beaucoup moins depuis son mariage... lui un grand
pédéraste...
Les
amis de Madame Emilienne ne savaient plus quoi penser de cette
tirade. Était-elle vraiment si dupe ou voulait-elle se faire
passer pour dupe ? Comme cela, elle n'était pas obligé
de rougir de la réputation de son gendre, car tout pédéraste
notoire qu'il était, ce monsieur avait un poste très
important et une rente encore plus importante et Mme Emilienne en
profitait autant que sa malheureuse fille, pas si malheureuse que
cela quand on la voyait se pavaner dans ses habits à la
dernière mode au bras de beaux jeunes hommes qui plaisaient
autant au mari qu'à la femme. Mais l'amie en question à
qui se confiait Mme Emilienne, sans aucun égard pour toutes
ces oreilles alentour, voulut lui faire une leçon de
vocabulaire. Elle voulait se venger d'une humiliation que lui fit
subir Mme Emilienne en oubliant de l'inviter à son fameux bal
de la rentrée.
Et,
dans ce milieu très bien-pensant, la tirade n'allait pas
manquer de produire son effet. Tout le monde allait commencer à
prendre ses distances avec Mme Emilienne à cause de ses
fréquentations pas comme il faut. Et l'année prochaine,
tous déclineront son invitation au bal de la rentrée.
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Retour
d'un soldat
L'occasion
est fréquente d'un brin de causette, assise
à la seule terrasse du café du village, elle en
profitait pour parler à toute personne attablée. Elle
parlait de la pluie et du beau temps, de sa dernière récolte
d'herbes aromatiques, du chien de Mme Auguste, de ce temps où
elle jouait à cache-cache avec Robert, Robert qui assis sous
l'arbre en face du café avec son journal faisait semblant de
ne pas la voir, mais peut-être bien qu'il ne la voyait plus, il
ne voulait plus la voir depuis ce jour où rentrant de la
guerre il a appris ce qu'elle avait fait, il lui a signifié
qu'elle était morte pour lui désormais, et depuis il ne
la voyait plus, elle était devenue invisible, les gens du
village avaient pardonné comprenant la raison de son geste
depuis tout ce temps, ils lui ont permis de revenir vendre sa récolte
sur le marché en été et les dames venaient la
voir en hiver pour qu'elle leur apprenne le tricot. Elle se souvient
de toute ces écharpes, pulls, chaussettes qu'elle avait
tricoté pour Robert en attendant son retour.
C'est
vrai qu'elle avait hésité longuement avant de vendre
ses tableaux, au Robert. Robert était quand même devenu
un excellent peintre plein d'avenir au moment où la guerre
éclatât. Mais, elle n'avait pas trop le choix. Les temps
étaient durs, les récoltes mauvaises. Elle dut se
résoudre à les vendre pour quelques deniers. Ce qui fit
mal aux villageois, c'est que ces tableaux étaient toute
l'histoire du village. Robert en avait immortalisé tous les
recoins. Et maintenant que la guerre avait détruit la plupart
des maisons, le village avait perdu une part de sa mémoire
visuelle.
Ainsi, Robert avait
perdu le goût de peindre, lui autrefois si friand
d'expositions, il allait même jusqu'à faire plusieurs
centaines de kilomètres pour admirer certains artistes.
Maintenant, c'était fini. En faite, il avait perdu bien plus
que le goût de peindre ! Il travaillait aux champs, mais à
part ça, beaucoup se demandait ce qu'il faisait de ses
journées. Elle s'en était aperçue mais n'y
pouvait rien, où plutôt n'avait rien pu y faire.
Pourtant Robert avait ses secrets, même s'il perdu beaucoup de
désillusions, sa candeur ne s'était pas éteinte.
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De
l'équilibre de l'être
«Si vous
pouviez maintenir votre coeur émerveillé devant les
miracles quotidiens de votre vie, votre douleur vous paraîtrait
aussi merveilleuse que votre joie».
Et notre joie aussi
détestable que la douleur? Celle qui sourd en moi comme l'eau
captive à la recherche désespérée de
l'issue qui lui permettra de jaillir hors de se prison? Une issue
ouverte sur les pentes de la montagne pour qu'y éclate
le fracas de l'énergie contenue.
La
douleur vaste sujet! Qui ne s'est pas déjà délecté
de cela? Je veux parler de la douleur morale, celle qui s'insinue en
nous, qui nous parasite le cerveau, nous rend sourd, aveugle,
incapable de goûter aux saveurs de la réalité du
moment. Celle qui ne nous permet plus, pendant un temps plus ou moins
long, de toucher du doigt tout ce que le quotidien peut apporter de
positif!
Certains réagiront vite, se ressaisiront, se
motiveront en prenant conscience de l'absurdité de cette
attitude, pour envisager une reconversion psychique vers une
meilleure condition de vie. Alors que d'autres se complairont à
se maintenir dans cette situation mélancolique, où la
douleur ressentie devient paradoxalement joussive et salvatrice. La
douleur joyeuse, la joie douloureuse...
Il devient en effet
difficile, voire impossible, de sortir de ce cercle vicieux: comment
arrêter de se plaindre, de se complaire, quand on a pris
l'habitude de montrer à l'autre un visage attristé,
quand ne viennent à l'esprit que les aspects négatifs
de notre quotidien qui, le croit-on du moins, font de nous une
personne particulière: attachante, vulnérable,
"aimable"?
Ainsi, comment établir ce fragile
équilibre, une objectivité et une vision juste des
choses et des êtres aussi peu troublées et perturbées
que possible par nos "affects" : comme il est écrit
dans les livres de psychologie, par notre inconscient, nos sentiments
refoulés qui refont soudain surface? Comment mettre à
leur juste place joie et douleur?
Il me semble indispensable
de faire un travail sur soi, d'abord: d'acquérir une distance
salvatrice avec les mouvements premiers et primaires de notre être
et de nous confronter aux autres: avoir leur opinion, leurs points de
vue pour ainsi être à même de nous situer dans un
rapport ré-équilibré entre soi-même et le
monde extérieur.
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L’étranger
Je
fus soudain horrifié au-delà de ce qui qu’est permis
en l’entendant appeler Papa par son prénom.
Comment
cet être répugnant pouvait-il connaitre mon père ?
du haut de mes dix ans, je tentais de réfléchir, de me
souvenir si j’avais déjà croisé une fois dans
ma vie cet homme hirsute qu’on croyait tout juste sorti de trois
années de réclusion aux fins fonds des Carpates.
J’essayais de me l’imaginer rasé, propre, les cheveux
coupés courts et bien rangés, avec une raie droite
scindant en deux parties inégales son crâne aplati ;
malgré cela il ne me revenait pas à l’esprit de
l’avoir rencontré autrefois. Je me résignais :
Papa avait dû avoir, dans sa vie antérieure, une épisode
peu reluisant dont il n’osait jamais évoquer l’histoire,
certainement par crainte de choquer sa propre femme qui, en
l’apprenant, se sentirait enfuie en courant aussi vite que ses
petites jambes frêles le lui auraient permis, tout en prenant
soin de ne jamais se retourner.
Oui,
me dis-je, auparavant mon père était un malfrat, et par
chance, il avait réussi à s’extraire de ce milieu
pour prendre femme et fonder une famille bien sous tous rapports.
Je
ne pus m’empêcher de laisser mon imagination envahir mes
pensées. Désormais à chaque fois que je verrais
mon père, se superposera une image trouble, un double au passé
inconnu et inconnaissable de nous, ses enfants qui nous sentions
jusque là dans un univers aux contours bien définis et
rassurants.
Donc
mon père avait connu, des années auparavant un homme
qui, lui, était devenu une espèce de S.D.F. et qui ce
soir avait sonné à notre porte pour peut être
manger son premier repas de la journée. Je passai ma soirée
à observer ce personnage : il parlait mal notre langue et
ne s’adressait jamais qu’à mon père, semblant
ignorer les autres membres de la famille : ma sœur était
ce soir calme par extraordinaire et n’avait étrangement
aucune anecdote concernant se journée de classe à nous
raconter. Elle était subjuguée par cet homme sans âge,
qui sentait fort, aux habits froissés et dont elle avait du
mal à comprendre la nervosité et l’attachement qu’il
ne cessait de montrer à notre père.
La
soirée s’éternisait, ma sœur et moi étions
fatigués et l’heure d’aller au lit était passée
depuis longtemps. Sur la pointe de pieds nous sommes allés
dans notre chambre et puisque personne ne s’intéressait de
nous, nous nous sommes mis au lit sans nous brosser les dents ni
aller aux toilettes.
De
mon lit j’ai commencé à regarder les ombres sur le
plafond des voitures passaient dehors et les ombres bougeaient…
j’ai cru voir mon père, il était en costume… non,
maintenant il a une cape, il marche dans la rue, on l’appelle, il
vole, arrive au secours des hommes sans défense, pauvre,
sale…. Mon père, c’est mon héros !
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La
symphonie du quotidien
C'est
en ville que j'exerçais de préférence, à
cause des foules qui n'ont jamais rien à me dire. Ainsi, je
pouvais laisser le son de mon orgue de Barbarie s'échapper de
l'appareil et se mêler aux bruits de la ville. Car ce que
j'aimais, ce n'était pas jouer pour la foule, mais apprécier
ce mélange de sonorités mi-musicales, mi-brouhaha, qui
se produisent à cette occasion. De cette confrontation en
apparence si antynomique résultait pourtant à mon
oreille une forme mélodique à laquelle je semblais le
seul à être attentif. Les passants qui s'arrêtaient
un instant ne s'intéressaient toujours qu'au son de l'orgue
qui leur évoquait je ne sais quoi de nostalgique. Moi, j'étais
plongé dans la cacophonie globale. Je vivais un instant
mélodique jamais identique, jamais renouvelable. Je vivais le
son au présent.
Quand
la fin de journée arrivait, je continuais à écouter
mon environnement sonore, mon instrument étant éteint.
Je prenais le métro parisien pour me rendre chez moi après
avoir rangé mon orgue chez le buraliste, un ami de longue
date. Le métro, c'est une véritable salle de concert,
derrière le brouhaha que les gens émettaient on pouvait
distinguer une multitude d'instruments : les rails qui suintent dans
les virages, les signaux des portes, les pas précipités
des personnes qui, lorsqu'elles voient les portes commencer à
se fermer, piquent un sprint pour espérer introduire une main
dans l'interstice des portes coulissantes et ainsi empêcher
leur fermeture totale. Avec l'aide d'un passant compatissant, elles
réussiront à réouvrir ces portes et à
s'introduire dans la rame. Imaginez cette succession de sons !
Lorsque j'arrive enfin chez moi, dans le quartier de Ménilmontant,
c'est quasiment le silence, une petite ruelle qui ne voit passer que
quelques cyclistes, cela change !
Je
joue de la clef dans la serrure. Malgré l'obscurité
presque totale, le grincement familier des gonds se fait entendre,
tel un accord mille fois répété qui se passe de
partition. Le couinement des marches au contact de mes semelles de
cuir rythme ma progression domestique et lorsque je pénètre
enfin dans ma chambre mansardée, les ronronnrments de mon
matou font trembler les lames de parquet mal ajointées. Ses
miaulements emplissent l'espace restreint, prélude au
spectacle muet des étoiles qui se lèvent une à
une, actrices d'un opéra céleste muet dont je suis le
spectateur privilégié à travers ma lucarne de
toit.
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Petit
déjeuner
J'ai
bu mon café, allumé ma première cigarette et
senti le premier frisson prémonitoire agacer mon esprit.
La
voisine, la voisine, la voisine. Un bruit qu'elle fit sur son balcon
la remit au centre de mon esprit. La veille au soir en effet, j'eus
l'occasion de faire connaissance avec ma nouvelle voisine. Prof de
latin, arrivée à Strasbourg à l'occasion de la
rentrée des classes, en provenance de St Quentin, elle était
venue m'emprunter un tournevis. Elle m'avait semblé énergique
et un beau petit bout de femme avec ça. Il me fallait explorer
cette nouveauté.
Les
brumes envahissent mon cerveau, les premières bouffées
sont toujours les plus sensationnelles, elle me fait vraiment tourner
la tête et... aller au WC...
Qu'importe,
je n'y pense pas, je pense à elle, je pense au prétexte
avec lequel je vais pouvoir entrer en connexion avec elle. Je ne peux
pas arriver comme ça et lui dire " chère
voisine, je suis rempli de curiosité à ton égard,
allons boire un verre... " Non ! C'est trop... trop...
" téléphoné ". Non ! Il
serait peut-être bon d'avancer mes qualités de bricoleur
Ikéa... Et puis, elle va faire quoi avec son tournevis ? Non
décidément toutes ces perspectives d'approche sont
niaises, je crois que la rencontre par " adhésion "
reste encore le meilleur moyen d'aborder, une entente, une passion,
un amour, une vie ou... simplement de la cordialité que le
rapprochement géographique et la bienséance sociale
auront contribué à créer.
J'ai
39 ans, je suis pas fini, moi aussi je peux faire des apéro
avec les vieux copains : Nono, Fifi, Le Poilu, Sylvain... une grande
fête comme à l'époque, avec petit mot d'excuse et
invitations pour tous les habitants du 49 rue de l'escalier ; alors
ça va s 'organiser comment ? …. Déguisements ?
Musique ? Couleur ? Déco ?
Elle
savourait son thé et se préparait à sa séance
de Taï-Chi matinale lorsque la sonnette se mit à
retentir.
Le
voisin ? Le voisin ? Le voisin ? !
Vite,
me recentrer sur moi-même. Entrer dans mon " Chi ".
Me détendre pour affronter la situation. Accepter ce qui
arrive sans émotion aucune. Ce frisson qui me traverse n'est
qu'illusion. Nulle émotion ne peut me perturber. Ça
fait quand même trois ans que je médite deux heures par
jour pour lutter contre mes pulsions. Mais cette sonnette ! Quelle
agression !
Et
Mélinda saisit le tournevis. Il s'enfonça facilement
dans le cœur du voisin du dessous.
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De
la révolution ou l'art de tourner en rond
Dès
lors j'acceptais la Révolution comme un fait accompli, fondé
en droit, et auquel le bon sens, l'équité, l'intérêt
du pays et même celui de l'ancienne noblesse, ordonnaient qu'on
se rattachât.
Il
est des situations où notre moi individuel, celui de l'ego,
doit céder la place à quelque chose de supérieur,
celui de la conscience. La conscience, la balance, ce qu'on doit
faire, ce qu'on se doit de faire. Le renouveau apporté par un
changement de régime, de structure sociale, les liens tissés,
les connexions établies, la hiérarchie, quand il est
repensé, on pourrait supposer qu'il tendrait à être
meilleur, ce n'est pas toujours le cas. Il y a toujours cette
frauduleuse gestion des pouvoirs, cette confusion entre intérêt
personnel et ordonnancement social.
Prendre
l'histoire en marche et tenter d'en comprendre le sens, tout en y
trouvant notre place. N'est-ce-pas le défi qu'il nous
appartient de relever pour évoluer en tant qu'individu et
contribuer par le même temps à l'évolution de la
société ? Je me plais à croire que l'époque
à laquelle j'écris est annonciatrice de bouleversements
encore plus puissants que ceux qu'il m'est donné de vivre. Et
que le siècle à venir sera celui d'un chambardement à
l'échelle planétaire. Peut-être même y
verra-t-on des femmes en cheveux défiler dans les rues, et les
hommes jouer dans les parcs avec leurs enfants. Mais peut-être
aussi des hordes de sans-abri se révolter contre le nouvel
ordre établi !
Allez,
soyons fous ! Imaginons le futur sous un angle complètement
utopique : il y aurait, pour commencer, à choisir un être
qui serait suffisamment puissant pour pouvoir diriger un peuple,
celui-ci plaçant une confiance absolue dans ce personnage
illustre. Pour s'assurer une légitimité, il serait
adoubé par la population, au moyen d'un stratagème
innovant, consistant à choisir sur une liste de candidats,
celui qui pourrait représenter au mieux la voix de la nation.
Ainsi, chacun aurait à sa disposition un petit bout de papier
sur lequel il inscrirait le nom de son candidat préféré
et nous désignerions cette action sous le vocable : élection.
Une fois cette étape franchie, le dirigeant, qui se ferait
appeler Président, déciderait à son tour de
s'adjoindre les services de plusieurs conseillers, qu'il nommerait
ministres...
Hola,
hola, non, attendez, là ! j'ai mal à la tête, je
me sens mal... Je rêve ou mon utopie n'est qu'un éternel
recommencement de la réalité ?